Militant.e.s en confinement : Lylou Sehili
Une série de portraits qui s’intéressent aux militant.e.s pour le climat qui ont vu leur mobilisation être chamboulée par la COVID-19. Rencontre à deux mètres avec Lylou Sehili, co-porte-parole de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) au niveau collégial.

Photographe et journaliste terrain : Ariane Poulin
Journaliste : Élisabeth Labelle

Publié le 25 mai 2020 dans le webzine Futur Proche

Photo : Ariane Poulin

Lylou Sehili
19 ans
Co-porte-parole de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) au niveau collégial
Quartier Hochelaga-Maisonneuve, Montréal

FP : Quel impact la pandémie a-t-elle eu sur vos activités de mobilisation ? Je sais qu’il y avait la Semaine de la Transition, du 30 mars au 3 avril 2020...
LS : À la base, la Semaine de la Transition se voulait une semaine d’éducation populaire, mais on voulait aussi recréer un tissu social, un lien humain pour que les gens se retrouvent, se mobilisent, créent et vibrent ensemble. L’éducation populaire s’est faite en ligne avec des webinaires sur les plateformes numériques, mais un aspect essentiel de la Semaine de la Transition était manquant comme on ne pouvait plus se retrouver ensemble.
FP : L’aspect humain était plutôt réduit…
LS : Exactement ! On misait beaucoup là-dessus, mais on trouve autre chose, c’est-à-dire qu’on cherchait à créer un tissu social, de la solidarité et la crise a amené ça d’une certaine manière. Malgré la distanciation sociale, on réalise qu’il y a des gens qui habitent autour de nous. Tu ne fais pas simplement habiter un quartier, tu vis dans un quartier. Ce n’est pas juste un lieu où tu dors, où tu manges. On ne s’en rend pas compte, mais sur notre rue, il y a peut-être dix maisons et dans chaque maison il y a une histoire. On est complètement imperméable à ces histoires-là. Le confinement a permis à certaines personnes de reprendre conscience de ce qui compte vraiment, de ce qu’on avait pris pour acquis.
« Le premier truc qui m’a choquée quand le confinement a commencé c’est à quel point les gens avaient oublié ou n’avaient jamais appris comment vivre. »

FP : C’est étrange !

LS : Exactement ! On se définit par son travail, son statut social, ses études, alors qu’on est tellement plus qu’un travailleur ou une travailleuse, un étudiant ou une étudiante.
FP : En tant que jeune adulte engagée, trouves-tu le confinement particulièrement difficile ?
LS : Je suis dans une situation hyper privilégiée à savoir que j’ai un toit sur la tête, j’ai de la nourriture sur la table, j’ai des gens avec qui la partager… J’ai cette sécurité, cette stabilité financière-là, j’ai de la place… Je n’ai pas à me plaindre !
C’est surtout que c’est tombé juste avant la Semaine de la Transition et, les mois qui précèdent des grèves ou une manifestation, tu les passes beaucoup dans des rencontres, avec le monde de la CEVES. C’est beaucoup d’organisation, beaucoup de gens qui se crinquent ensemble, beaucoup d’émotions. Tout le monde était excité et on s’est fait couper court au moment où les rassemblements ont été interdits, ce qui voulait dire pas d’assemblées générales de grève. C’est énormément d’efforts, d’heures de sommeil sacrifiées… Cette charge mentale que tu traînes depuis des mois, au final c’était un peu pour rien… C’était difficile, mais bon, le confinement c’est hors de notre contrôle.

Photo : Ariane Poulin

FP : À ton avis, est-ce que les initiatives en ligne ont le même impact que la mobilisation dans la rue ?
LS : Je ne sais pas si ça a un impact de même ampleur, mais en tout cas c’est certain que ça n’a pas le même impact. On parlait du côté humain tantôt, quand les gens se rassemblent et vivent quelque chose ensemble. Tu ressors d’une manifestation non seulement [avec] des souvenirs, mais c’est aussi une expérience. Tu as des émotions qui sont rattachées à ça.
Je ne pense pas que c’est nécessairement la grève numérique va avoir eu un impact. J’ai vu beaucoup de témoignages de gens qui ont fait des parallèles d’eux-mêmes entre la COVID-19 et la crise climatique, ou la solidarité qu’il n’y avait pas avant et qu’il y a maintenant.
« La crise sociale dans la lutte contre les changements climatiques, on la revendique très souvent. »

FP : Crois-tu que cette mobilisation individuelle qui est en train de prendre forme est essentielle ?
LS : C’est clair, clair, clair depuis le début que ça passe par une mobilisation de la base et c’était un peu ça l’idée de la Semaine de la Transition aussi. Même si les gouvernements changent, si tu n’as pas l’appui de toute la population, tu ne peux absolument rien faire. Au contraire, si la population est mobilisée, ton gouvernement n’a pas le choix de suivre.
Ce qu’on revendiquait c’était que, pendant cette semaine-là, l’environnement passait devant l’éducation et que certaines priorités devaient être revues. La crise de la COVID-19 vient de nous fournir tout l’argumentaire de grève pour revoir certains principes de base de notre société. Ce changement de mentalité-là, il va se faire. Ça prend du temps, mais ça n’a pas le choix de passer par la base. C’est sûr et certain !
FP : Es-tu étonnée de constater à quel point le ralentissement économique a des effets bénéfiques sur l’environnement ?
LS : Les premières semaines, je trouvais ça tellement ironique comme situation ! À savoir que la génération plus âgée dépend des comportements et agissements de la génération plus jeune, alors qu’on passe notre temps à exhorter les générations plus âgées à nous écouter et à agir d’une certaine manière pour le bien de l’ensemble de la société, de la collectivité… Les jeunes ont écouté, ils sont restés chez eux, parce qu’ils savent ce que c’est de se retrouver dépossédé de leur avenir, que leur vie dépende d’une autre génération.
« La peur qui confine les gens chez eux, c’est la peur qui habite les jeunes à l’année longue. »

FP : Crois-tu que les humains reviendront à la société de productivité sans vraiment trop regarder en arrière ?

LS : Une partie de moi-même un peu trop optimiste veut que les gens aient pris goût à cet état d’être, qu’ils réalisent que ça n’avait pas d’allure et qu’ils modifient peut-être certains comportements de la vie de tous les jours. J’aime penser que les humains ne sont pas aussi cons que ce qu’on veut laisser paraître. Je préfère croire que l’humanité n’est pas perdue encore.

Notes de la rédaction :
1. La séance photo et l’entrevue ont eu lieu à l’extérieur, en respectant les mesures de distanciation physique et d’hygiène respiratoire.

2. L’entrevue a été éditée pour faciliter la lecture, mais l’essence des propos tenus durant la rencontre a été préservée.

S U I V A N T