Militant.e.s en confinement : Léa Ilardo
Une série de portraits qui s’intéressent aux militant.e.s pour le climat qui ont vu leur mobilisation être chamboulée par la COVID-19. Rencontre à deux mètres avec Léa Ilardo, co-porte-parole de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES).

Photographe et journaliste terrain : Ariane Poulin
Journaliste : Élisabeth Labelle

Publié le 6 mai 2020 dans le webzine Futur Proche

Photo : Ariane Poulin

Léa Ilardo
22 ans
Co-porte-parole de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES)
Quartier Villeray, Montréal

FP : Quel impact la pandémie a-t-elle eu sur vos activités de mobilisation ? Je sais qu’il y avait la Semaine de la Transition, du 30 mars au 3 avril 2020…
LI : Pour l’instant, c’est plus compliqué. Fermer les écoles et ne plus avoir le droit de se rassembler ou de faire des manifestations, ça change tout ! Ça a été très difficile avec la Semaine de la Transition pour laquelle on se mobilisait depuis janvier. Il y a eu un énorme, énorme travail. Il y en a qui ont arrêté leurs cours pour partir en mob-mobile à travers le Québec (en Gaspésie, en Abitibi, au Saguenay, etc.). C’est difficile de se remettre de ça, surtout pour les personnes qui ont mis beaucoup d’énergie.
FP : Et tout a dû être transposé en ligne à la dernière minute…
LI : Les événements nous ont pris de court, mais la semaine de webinaires organisée au dernier moment était vraiment chouette. La programmation en ligne a reçu une belle participation : on avait au moins 100 personnes en direct sur Facebook à chaque fois. On avait déjà cette volonté de faire une éducation populaire à travers la Semaine de la Transition.
« Les gouvernements ne le font pas, alors pourquoi pas le faire nous-mêmes ? »

FP : Penses-tu que les initiatives en ligne ont la même portée de sensibilisation que les manifestations dans la rue ?
LI : Pour moi, clairement non. Ça permet de nous rapprocher, de nous fédérer entre nous, mais ça n’a aucun rapport avec le bouillonnement de participer à une manifestation…. Tout le monde est d’accord là-dessus ! En plus, je trouve que les réseaux sociaux ont le contrôle sur tellement de choses. Je pense que Google, Amazon, etc. ne sont pas nécessairement nos amis [rires].
FP : En tant que jeune adulte engagée, trouves-tu le confinement particulièrement difficile ?
LI : Ça a été dur au départ parce que mon frère, ma sœur et mes deux parents sont médecins en France alors ils sont confrontés au virus tout le temps. Pour l’instant tout va bien et on se parle souvent ! Après, j’ai un appartement, pas de stress financier, j’ai du temps à donner pour faire du bénévolat… Ce soir, je m’en vais donner mon sang pour la première fois à vie ! Je suis super stressée, mais je pense que c’est ce que je peux faire de mieux. On prend conscience de nos privilèges. C’est un temps où on se retrouve chez soi, juste avec notre tête, et ça nous permet de réfléchir à comment mieux gérer notre militantisme et à se poser de très bonnes questions sur des trucs profonds, même sur le mouvement lui-même.

Photo : Ariane Poulin

FP : Pour les gens qui ne sont pas militants, penses-tu que ce temps de pause pourrait leur permettre de réfléchir davantage à leur impact environnemental ?
LI : Qu’on soit militant ou pas, il y a une prise de conscience. De façon générale, j’ai envie de dire que la COVID-19 a révélé à quel point le système est dysfonctionnel et fragile, et à quel point on y est dépendant. [Le gouvernement] met un tas d’argent pour sauver les gens, mais alors pourquoi on ne le fait pas d’habitude ? L’argent, [il] le trouve quand [il] veut.
Ce qui est fondamentalement le problème, c’est la notion du temps : on est dans un système de productivité. Aujourd’hui, avec le confinement, on peut lire, s’amuser avec nos enfants, faire une activité avec notre coloc, cuisiner, etc.
« Pourquoi, quand la société fonctionne normalement, elle ne nous permet pas de faire ces choses-là qui sont pourtant essentielles ? »

La majorité silencieuse ne deviendra pas super militante, mais je pense qu’on gagne des alliés. Je me considère comme environnementaliste, mais au-delà de ça je me bats aussi pour la défense des droits humains.
FP : Les gens seraient donc plus sensibles à la cause environnementale post-pandémie ? Souvent, l’humain n’apprend pas de ses erreurs…
LI : En ce moment, le gouvernement veut que l’économie reparte, qu’on reprenne le business as usual et ça, ça me fait vraiment peur. Au niveau des gens, je crois beaucoup en nous. La COVID-19 a créé une grosse brèche : on a jamais vécu un tel confinement et c’est quelque chose qui va perdurer.
« On dit souvent qu’on veut sauver le monde, mais le monde nous survivra clairement. »

C’est nous, les humains, qui partirons. Déjà, de prendre conscience que la crise climatique, c’est avant tout une crise sociale, humaine... Il y a des gens qui meurent. C’est très loin de nous au Québec, on ne s’en rend pas trop compte, mais des gens meurent ailleurs dans le monde pour de vrai, dans des pays qui sont déjà les plus vulnérables et les plus impactés socialement et économiquement. Donc, double, triple ou quadruple inégalités.
FP : On entend que le ralentissement économique a des effets bénéfiques sur la planète, les animaux, la qualité de l’air… Es-tu étonnée ?
LI : Est-ce que je suis étonnée ? Vraiment pas ! [rires] C’est tellement lié… Je me demande jusqu’à quel point on va devoir se prendre de graves problèmes dans la face avant qu’on fasse quelque chose. J’espère que [la COVID-19] est une assez grosse claque pour qu’on puisse maintenant, enfin, aller vers des solutions. Au final, un jour on va être forcé à être prêt. Quels sont nos besoins essentiels ? Qu’est-ce qui est important ? Il y a tellement de choses que l’on croyait importantes qui ne le sont pas tellement.

Notes de la rédaction :
1. La séance photo et l’entrevue ont eu lieu à l’extérieur, en respectant les mesures de distanciation physique et d’hygiène respiratoire.

2. L’entrevue a été éditée pour faciliter la lecture, mais l’essence des propos tenus durant la rencontre a été préservée.

S U I V A N T