Ève Grenier Houde & Mika Pluviose
À l’automne dernier, ces deux étudiants du secondaire ont participé à une mobilisation sans précédent pour le climat, du jamais-vu au Québec et à travers le monde. Un portrait des jeunes militants Ève Grenier Houde, 17 ans, et Mika Pluviose, 16 ans.
Journaliste et styliste : Élisabeth Labelle
Photographe : Kay Milz
Directrice artistique : Valéry Lemay
Coiffure et maquillage : Janie Gagnon
Vêtements : Veri

Publié
le 20 janvier 2020 dans le webzine Futur Proche

Photo : Kay Milz

« On est tous là pour créer quelque chose de beau. C’est agréable de pouvoir se retrouver avec des gens qui ont envie de créer avec toi », m’explique Ève Grenier Houde, 17 ans, assise à ma droite. À ma gauche, Mika Pluviose, 16 ans, acquiesce et ajoute : « avec les autres, ta voix est amplifiée. »

Nous sommes attablés au milieu du loft de la photographe Kay Milz, avec qui les deux jeunes militants ont passé les dernières heures à poser devant l’objectif aux côtés de divers plastiques récupérés par la directrice artistique Valéry Lemay.

Notre rencontre a lieu à la mi-décembre par un samedi pluvieux. De l’appartement, on aperçoit le centre-ville de Montréal partiellement voilé par la brume. À quelques rues de là, le 27 septembre dernier, la militante suédoise Greta Thunberg prononçait un discours historique devant une foule record de manifestants, tous réunis pour prendre part à la marche mondiale pour le climat.

Photo : Kay Milz

Ce jour-là, Ève représentait les étudiants québécois du secondaire et donnait sa première conférence de presse devant une centaine de journalistes. « J’ai travaillé mon discours toute la semaine, je l’ai peaufiné et re-peaufiné », me confie celle qui venait alors d’être élue responsable de la division locale du mouvement Fridays For Future (FFF).

Mika, actif au sein du collectif Pour le futur Montréal, se souvient de quitter la conférence de presse et de se retrouver au milieu de l’avenue du Parc, ébahi devant l’étendue de la marée humaine qui se dressait devant lui. « Le 27, on a réussi. C’était exceptionnel ! », s’exclame-t-il.

Au Québec comme ailleurs, l’automne a été marqué par une mobilisation sans précédent des jeunes pour le climat. Pour preuve, le magazine américain Time a désigné Thunberg comme personnalité de l’année 2019. Ici, L’actualité a consacré sa page couverture de janvier 2020 aux jeunes pour le climat, ceux-ci figurant parmi leurs personnalités marquantes de la dernière année.
« J’ai certainement encore de la fatigue accumulée », avoue Mika, qui fréquente l’école Sophie-Barat située dans le quartier Ahuntsic, à Montréal. « Tu as toute cette adrénaline et après ça retombe », renchérit Ève, qui étudie à l’école Robert-Gravel dans le Mile-End. 

Au-delà de l’épuisement physique, la charge mentale que représente une telle lutte pour ces adolescents est palpable. Quand Mika parle de la grande marche du 27 septembre, il est enthousiasmé par l’ampleur de la mobilisation, mais son regard s’assombrit lorsqu’il constate qu’elle n’a pas eu les impacts majeurs escomptés.
« Malgré tout ça, malgré l’engouement, malgré avoir réuni autant de gens », avance-t-il, « [les politiciens] changent un peu leur discours, mais si ça ne leur pose pas problème, ils ne vont pas changer. »

Photo : Kay Milz

Si le gouvernement de François Legault a reconnu l’urgence climatique le 25 septembre dernier — à la suite d’une motion déposée par Québec Solidaire (QS) et adoptée unanimement par l’Assemblée nationale — il s’agissait plutôt d’une position symbolique que d’un changement de paradigme au sein du parti au pouvoir. 

Lors de la campagne électorale de 2018, on se souviendra que la Coalition avenir Québec (CAQ) avait obtenu la pire note au questionnaire élaboré par 11 groupes environnementaux et remis à chacun des partis politiques dans la course.

Depuis la motion sur l’urgence climatique et la grande marche pour le climat, le gouvernement Legault a changé son discours quelque peu, comme l’a souligné Mika. Le premier ministre a notamment défendu le projet du 3e lien dans la région de Québec en faisant valoir que « pour faire circuler les autos électriques, ça va prendre des routes ».
L’écoblanchiment de certaines mesures de la CAQ cache peut-être une prise de conscience du gouvernement, alors que l’urgence climatique est un enjeu qui préoccupe de plus en plus les Québécoises et Québécois. Selon Ève, lorsque la majorité de la population sera consciente du problème et mobilisée, le parti au pouvoir n’aura pas le choix de suivre : « tu dois représenter ton peuple quand tu es au gouvernement. »

En attendant, pas question pour les deux jeunes militants de baisser les bras. « On va continuer notre combat de sensibilisation, on va continuer de mettre de la pression », dit Mika, « il va falloir qu’on soit plus convaincant. »

Photo : Kay Milz

Questionnée sur la nouvelle année et ce qu’elle réserve pour le mouvement, Ève répond que les moyens de pression vont augmenter et que les marches seront plus fréquentes. « Je crois que c’est important de préparer mentalement les gens », me dit-elle, « ça s’en vient de plus en plus gros. »
Mika, lui, tient à rappeler que leur combat n’est pas dédié exclusivement à l’environnement : leur lutte est « intersectionnelle ». Les premiers touchés par la crise climatique sont les personnes marginalisées, comme les personnes racisées, issues de la communauté LGBTQ+ et les femmes. « Je ne pense pas qu’on puisse se sentir légitime de supporter une de ces causes et dénigrer l’autre. Tout est lié. »
Cette maturité, riche en nuances, se reflète aussi dans le point de vue des adolescents face à l’adversité. Si la mobilisation de la jeunesse québécoise en a inspiré plusieurs, d’autres ont tenté de discréditer ses actions par tous les moyens, notamment en partageant des fausses nouvelles au sujet de la marche pour le climat.
« Je trouve ça triste les gens qui essaient de trouver nos failles pour nous détruire », me dit Ève, « c’est tellement noble notre cause, pourquoi essayer de nous freiner ? »

Photo : Kay Milz

Depuis quelque temps, le discours ambiant semble mettre l’accent sur le clivage entre les baby-boomers réfractaires au changement et les milléniaux revendicateurs, donnant naissance au terme « OK boomer ». Sur ce point, Ève me fait part que les stéréotypes que l’on attribue à sa génération l’énervent autant que ceux visant les boomers.
« Je ne trouve pas ça correct d’alimenter ce genre de stéréotypes. C’est de l’âgisme, ça ne se fait pas ! », me dit-elle, visiblement agacée par le fossé générationnel que l’on semble vouloir creuser.

Mika donne pour exemple David Suzuki, une sommité du mouvement écologique au Canada, qui est aujourd’hui âgé de 83 ans. Encore mieux, on pourrait citer les parents respectifs des deux militants qui ont su transmettre à leur enfant l’importance de la mobilisation citoyenne.
« Petite, mes parents m’emmenaient dans des manifestations, pour le Jour de la Terre ou encore contre Monsanto », m’explique l’adolescente de 17 ans. « Un peu comme Ève, depuis tout petit, j’ai un désir de manifester parce que ma mère m’emmenait dans les manifestations des carrés rouges », me raconte Mika.

Ceci étant dit, en matière de lutte aux changements climatiques, les confrontations semblent inévitables. « Ça fait très mal de se faire dire par des personnes en position d’autorité que ce qu’on fait, ça ne sert à rien, ou que la crise n’est pas si importante. Ils se fient sur quoi ? », demande Ève.

Les deux jeunes assis à mes côtés savent que l’une des issues possibles de cette crise climatique est l’aggravation des catastrophes naturelles que l’on connaît déjà. « C’est dur de trouver un sens à sa vie sachant que c’est ce qui risque de nous arriver », explique l’adolescent de 16 ans, « on n’aura pas le temps de vivre une vie complète. »
Selon Ève, qu’importe les actions prises pour éviter l’hécatombe, on aura toujours quelque chose à leur reprocher. Elle donne l’exemple des militants d’Extinction Rebellion qui se sont hissés sur la structure du pont Jacques-Cartier à Montréal en octobre dernier. « Leur message a été entendu », mais leur méthode a été jugée « trop radicale », dit-elle.

Malgré tout, les jeunes militants mesurent bien la chance qu’ils ont de pouvoir se mobiliser et exprimer leur opinion sur la question climatique. « Ce n’est pas partout que [les jeunes] peuvent manifester », reconnaît Mika, « il y a des journalistes qui écrivent là-dessus qui se font tuer », souligne-t-il.

Entre les manifestations, Ève et Mika s’impliquent à leur école secondaire respective. Mika a rejoint le comité vert de Sophie-Barat, mais comme il n’y avait pas de comité vert à Robert-Gravel, Ève s’est chargée d’en mettre un sur pied et d’en recruter les membres. « Ça n’a pas été dur, même qu’on avait beaucoup trop de demandes », me confie-t-elle.
Ce sentiment de communauté, dans leur établissement scolaire et au sein du collectif Pour le futur Montréal, est jugé essentiel pour poursuivre leur combat. « Tu peux compter sur des gens qui ont plus d’expérience que toi, et [ceux] avec plus d’expérience peuvent compter sur nous, les plus jeunes », explique Ève.

Cette coalition composée de jeunes du secondaire, du cégep et de l’université assure la relève d’un mouvement qui n’est pas près de s'essouffler. Alors que mon entrevue avec les deux militants tire à sa fin, Mika conclut avec justesse et en toute simplicité : « on veut juste un futur. »
Notes de la rédaction :
1. Le plastique utilisé pour la séance photo est issu de différentes personnes qui souhaitaient s’en départir. Il a été récupéré par la directrice artistique Valéry Lemay et sera réutilisé pour d’autres séances photo de Futur Proche.
2. Les vêtements portés par Ève et Mika proviennent de la marque locale Veri. Les créations de la designer Catherine Veri sont faits à Montréal, privilégient les fibres naturelles et sont non-genrées. Les collections sont produites en petites quantités pour éviter les invendus et ne sont pas soumises au calendrier effréné de l’industrie de la mode.

S U I V A N T